INTERVIEW DE BRUNO BOUYGUES, PDG DE GYS

ETI industrielle familiale en Mayenne (53), Gys figure parmi les leaders français de la machine-outil. Engagé depuis vingt ans dans le développement international de l’entreprise, dont il est le Pdg, Bruno Bouygues a pu mesurer les mutations auxquelles toute PME doit faire face. Il en tire toutes les conséquences pour aller plus loin et plus vite dans son déploiement.

Par Joselyne Studer-Laurens, CCE

 

Quels sont vos premiers constats sur le développement de Gys à l’export ?

Tout d’abord, le développement de Gys se fait surtout sur l’international. Notre chiffre d’affaires consolidé 2023 est de 135 millions d’euros dont 40 % se réalisent sur le marché français et 60 % à l’international. Gys fait de l’export depuis 20 ans. Qu’est-ce qui a changé ? Nous ne sommes pas des primoexportateurs. A mes yeux, il y a deux niveaux d’exportateurs : le primo-exportateur et l’exportateur confirmé « structurel », celui qui utilise la digitalisation des processus export et qui a intégré en interne la connaissance des normes internationales et des contraintes douanières partout dans le monde. Quand l’entreprise est encore peu développée à l’export, une approche « light » est suffisante. Quand on est un exportateur structuré et qu’on vend dans beaucoup de pays hors Europe, il faut se structurer dans les parties juridiques, douanes et numériques. A noter qu’il est devenu plus facile d’exporter en Europe car l’appartenance à l’UE a aplani les difficultés liées aux transports et aux douanes et la rapidité des déplacements a favorisé les accès aux marchés.

 

 

Vous dites que pour être compétitif en France, il faut être très présent en Europe…

Oui, aujourd’hui, nos produits montent en technologie et nous devons faire un effort de R&D par produit plus important pour rester dans la course. Pour rester compétitif, nous devons commercialiser nos produits en Europe, hors de France, pour toucher une clientèle européenne plus large et mieux amortir ces coûts de R&D supplémentaires. Le déploiement de filiales commerciales européennes pour mieux accompagner nos clients a été une réponse naturelle pour s’adapter à cette nécessité double de plus de service local et d’augmentation des volumes en production pour assurer une taille critique et faire les avancées technologiques nécessaires sur nos produits. Avec des filiales en Allemagne, Angleterre, Espagne et Italie, nous avons fini de couvrir l’Europe de l’Ouest et nous allons maintenant devoir nous rapprocher de nos clients en Europe de l’Est. C’est le sujet des trois prochaines années. Une fois le maillage européen terminé, nous devrons commencer à nous intéresser à mieux servir nos clients hors Europe. Ce sera plus compliqué car les besoins sont différents et plus complexes de par la géographie, l’histoire, le climat et les normes qui sont souvent différents de ce qu’on a en Europe. Pour réussir, nous allons devoir bien nous renseigner sur les besoins de nos clients hors UE, afin d’innover en pertinence avec la demande. Enfin, nous assistons au niveau mondial à une montée des besoins en logiciel et connectivité pour mieux servir nos clients en France et à l’étranger. C’est passionnant mais difficile.

 

Qu’en est-il alors des activités hors UE ?

Si le déploiement dans plusieurs pays en Europe est simplifié par l’uniformisation et la digitalisation de l’Europe, ce n’est pas tout à fait la même chose hors Europe et cela demande de bien s’équiper en interne pour faire face à de nombreux obstacles supplémentaires. L’entreprise doit s’équiper en compétences commerciales, techniques, légales et numériques afin de livrer partout dans le monde (nous livrons 132 pays tous les ans). Il faut absolument s’équiper – en plus des outils pour l’Europe, d’outils numériques, douaniers (nous sommes en cours de certification OEA) et logistiques encore plus modernes et encore plus performants. La concurrence est très forte hors Europe et pour garder un client, nous devons résoudre les problèmes, le livrer rapidement et sans aucune difficulté pour lui.

 

Vous dites que nous vivons actuellement une période de transition…

En Europe, dans un marché sans frontières, la standardisation, la digitalisation des transports et l’IA pour la traduction ont favorisé une très forte intensification de la concurrence. L’Europe est devenue un véritable « marché domestique » pour de nombreuses entreprises européennes depuis le Covid avec une concurrence interne accrue. Hors d’Europe, et dans de nombreux pays, il y a de multiples opportunités mais il est important de bien les cibler car les barrières sont montées très rapidement sur les 10 dernières années : la douane, les réglementations, les déplacements, les visas… sont complexes et demandent des investissements importants, mais le nombre d’acteurs qui fait cet effort est aussi plus limité. C’est donc à chaque entreprise de trouver quelles sont les marchés qui font du sens en fonction de leur volonté et de leur sophistication interne. A mes yeux, un exportateur européen doit apporter à l’acheteur international un produit, une marque, une qualité de service exceptionnel, des outils numériques pour favoriser le partage d’information ainsi qu’une capacité à aider rapidement un client qui a un problème. Le couple prix/performance d’un produit bien que fondamental, ne suffit aujourd’hui plus dans de nombreux  pays.

 

Qu’est-ce qui vous a permis de réussir votre déploiement hors UE et quelle stratégie avez-vous adoptée ?

Durant les 10 dernières années, nous avons eu deux tendances lourdes : la digitalisation qui a accéléré de nombreuses formes de désintermédiation et une volonté des acheteurs d’avoir toujours plus de service toujours plus vite. Ces deux tendances ont forcé les industriels à lourdement investir. Chez nous, pour les accompagner, il a fallu investir sur l’élargissement et la montée en compétence de nos équipes, sur nos outils informatiques, sur l’augmentation significative de nos stocks et sur toute la digitalisation de toute la chaîne de transport. Aujourd’hui, Gys a installé des filiales dans certains pays stratégiques pour assurer un meilleur déploiement : au Royaume-Uni, en Allemagne, en Italie, en Espagne mais aussi en Chine où sont implantées deux unités de production. Après la Chine, les prochaines filiales hors Europe seront importantes et demanderont une vigilance accrue pour bien les servir.

 

Vous estimez que la concurrence accrue vous a fait opter pour une stratégie proactive…

Travailler aujourd’hui à l’export requiert plus de compétences qu’auparavant. Si l’humain et le produit restent fondamentaux, les clients demandent aujourd’hui une qualité de service incroyable qui demande des infrastructures de très haut niveau. L’export va dépasser les 60 % des ventes du groupe Gys en 2024 et reste un socle de croissance pour les années à venir si nous arrivons à bien servir nos clients avec les bons produits. 36 personnes aujourd’hui travaillent dans le service export de Gys avec une compétence de 18 langues étrangères. Plus récemment, un responsable des douanes vient d’être recruté afin de soumettre notre candidature au statut OEA (Opérateur Economique Agréé) qui nous permettra un dialogue à plus haut niveau avec les douanes de tous les pays. Un point à noter dans le département export, on commence à voir une séparation des compétences en deux équipes avec des moyens différents : une équipe UE et une équipe hors UE. Enfin, hors Europe la supply chain doit être fluide et sans risque de retard pour le client. Cela demande des stocks importants et un partenariat fort avec tous les acteurs de la chaîne de transport.

 

Quels risques avez-vous pris en compte ?

 Nous avons pris en compte les risques potentiels de non-paiement sur les 132 pays sur lesquels Gys commercialise ses produits en nous couvrant par une garantie Euler quand elle est disponible et/ou en prenant des CAP ou des CAP+ quand la garantie Euler ne l’est pas. Bien sûr, les coûts de ces garanties varient en fonction du risque du pays et du risque du client. Nous avons aussi fait d’énormes investissements en nous adaptant aux normes internationales, aux sujets liés à  la RSE et à la nécessité de gérer l’intégrité des données numériques en investissant dans les outils comme le PIM (Product Information Management).

 

Quels conseils donner aux nouveaux exportateurs ?

 Un primo-exportateur commence par vendre à l’étranger de façon opportuniste. Dès qu’il a du succès dans un pays, il doit s’interroger sur une implantation locale car il arrivera rapidement à un plafond de verre. Les salons restent un moment important de dialogue et d’échange et je recommande vivement à y participer. En interne, le produit et l’humain sont au cœur de ce dialogue et de cet échange mais il ne faut pas non plus sous-estimer la complexité et l’expertise requise dans de nombreux services pour garder des clients internationaux sur le long terme. Amélioration continue, adaptation aux changements et investissement sont à mes yeux les trois leviers gagnants pour une stratégie export gagnante sur le temps long.

 

Gys : quelques chiffres

Nombre de salariés : environ 900 dont plus des 2/3 en France
Siège à Laval (Mayenne)
Secteur des solutions de soudage, coupage et charge de batteries
Chiffre d’affaires 2023 : 135 M€
dont 60 % à l’export sur 132 pays
Cinq filiales implantées en Chine, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie, Espagne
36 personnes à l’export, 18 langues pratiquées

 

Biographie

Président directeur général de Gys

https://www.gys.fr/